Mėnuo Juodaragis 2017
Il y a quelques années j'ai découvert l'existence d'un festival folklorique lituanien, le Mėnuo Juodaragis, grâce à un ami qui comme moi est un grand amateur de musique folklorique et de culture païenne. Voyageant en Europe centrale cet été je me suis dit que c'était l'occasion de pousser plus loin vers le nord-est afin de découvrir ce festival prometteur. En effet, pour sa vingtième édition le Mėnuo Juodaragis (ce qui signifie "lune aux cornes noires") se tenait sur l'île du lac Dūburys, au nord-est de la Lituanie. Le cadre naturel semblait idyllique, et la programmation musicale très complète.
Bien que le festival en lui-même, situé à environ 150km de Vilnius, la capitale, ne soit pas aisé à atteindre, les possibilités ne manquaient pas. Des bus et navettes étaient affrétés pour l'occasion afin de relier directement le lac Dūburys depuis Vilnius, ou bien depuis un des villages voisins, desservis par des cars ou des trains. Pour ma part j'ai pris un car habituel depuis la capitale, qui m'a mené à une vingtaine de kilomètre de ma destination. De là un bus spécial menait les festivaliers jusqu'à l'événement. J'ai rencontré en route quelques lituaniens, ne manquant pas d'informer au besoin sur la venue du bus, et d'autres Européens de l'ouest, partant eux aussi à la découverte du Mėnuo Juodaragis. Les derniers kilomètres durent s'effectuer à pied sur une route de campagne, loin de toute habitation, et malgré ma grosse valise j'ai réussi à arriver à bon port le soir du 24 août.
L'ouverture du festival devait s'effectuer initialement dans la matinée, mais du fait de fortes pluies l'ouverture a été retardé. L'organisation du festival a réussi à gérer la mise en place des premiers concerts, qui n'ont eu qu'un peu de retard sur l'heure prévue (ce qui m'a arrangé vu mon arrivée tardive).
Après les contrôles de rigueur à l'entrée on pénétrait sur les terres du festival en traversant une colline boisée puis un petit pont de bois reliant l'île. L'arrivée nocturne ne me permit pas encore de prendre toute la mesure du cadre naturel, mais la forêt éclairée donnait le ton.Après avoir installé ma tente sous de vieux chênes imposant le respect, à la limite du terrain de camping calme et de son pendant "normal", j'ai pu me diriger vers mon premier concert. Traversant une prairie puis un bois de pins j'ai ainsi pu profiter du concert de Niel Mitra. Officiant habituellement derrière son ordinateur dans le renommé groupe Faun, Niel Mitra était seul sur scène pour mixer des sonorités électroniques plus ou moins folkloriques ou lancinantes, sous une sorte de grand auvent rappelant une tente viking. C'était la "Fir Stage", la scène des pins. L'ambiance était intimiste et sympathique dans cette petite clairière de pins récemment taillés.
Bien fatigué par mon trajet qui avait commencé très tôt le matin même depuis Paris je n'ai pas fait de vieux os avant d'aller me coucher.
Cela m'a permis de me lever assez tôt le lendemain matin pour découvrir l'île du lac Dūburys avant les premiers concerts. J'en profite pour notifier au passage que le festival ne présente pas que de la musique, loin de là. Il y avait de nombreuses conférences (parfois en anglais) et projections tout au long du festival, certaines activités organisées comme des ateliers, baignades, promenades, découverte de la région et pêche dans le lac, sans oublier un espace dédié aux activités pour les enfants. Pour ma part je me suis focalisé sur les concerts et les lieux.
Je suis parti à la recherche des sources d'eau potable de l'île, ce qui m'a donné l'occasion d'en découvrir une bonne partie. Outre de grandes prairies centrale l'île est constituée de bois de pins, de chênes et de boulots. Les paysages en bordures du lac étaient très dépaysants pour le français que je suis.
Parmi les arbres ici où là se trouvaient quelques décorations runiques, ou bien des oeuvres d'art contemporain. J'ai pu faire mes réserves d'eau pour la durée du festival grâce à la source située au nord-ouest de l'île. L'eau est riche en fer comme le montrait sa teinte légèrement orangé. J'en ai bu pendant plusieurs jours sans tomber malade, mais les plus précautionneux pouvait acheter de grosses bouteilles d'eau à la boutique du festival.
Les concerts du vendredi 25 août commencèrent pour moi avec la petite scène dédiée aux groupes folkloriques, la "Folk Hill", située au bord d'un tertre encerclé de grosses pierres et coiffés de drapeaux. J'ai pu y découvrir des groupes lituaniens de folk, plutôt traditionnel comme Rumbučiai et plutôt contemporain comme Laiminguo. J'ai ensuite filé pour la forêt pour assister au grand rituel de Perkūnas par Kūlgrinda, un des rares groupes locaux que je connaissais avant ma venue au festival.
Ce rituel prenait place sous le Vieux Chêne, qui portait naturellement bien son nom, dans la principale zone boisée de l'île, non loin de la "Fir Stage". Kūlgrinda, constitué de quelques musiciens, de nombreux chanteurs et surtout chanteuses, interprétait des chants folkloriques en costumes traditionnels d'antan ponctués par les déclamations rituéliques de leur chanteuse principale. Des grains de céréales furent jetés sur l'audience réunie autour du chêne, dans une clairière délimitée par des tentures blanches. Le rituel impliquait aussi le feu, entretenu là durant tout le Mėnuo Juodaragis. Ce moment était émouvant, d'une part par sa nature païenne dans ce cadre naturel, d'autre part l'implication des Lituaniens présents, que ce soit ceux du groupe ou des spectateurs.
Je me suis ensuite dirigé vers la "Dūburys" stage, non loin de là en bordure de prairie, pour assister au concert de Gyvata, l'autre groupe lituanien qui m'était déjà connu. Le groupe a présenté son dernier album. Connaissant surtout un précédent opus très folklorique je fut surpris par le penchant rock de ce concert, avec batterie, guitares électriques et basse. Des instruments traditionnels ont également été utilisés mais l'ensemble m'a paru détonnant par rapport à ce à quoi je m'attendais.
Puis je me suis rendu sur la scène principale, la "Perkūnas Stage", un peu plus loin sur la prairie. J'y ai découvert le groupe letton Daba San, mêlant folk et world music.
Alors que la journée touchait déjà à sa fin c'est sous une pluie légère que j'y découvris Marga Muzika, un groupe folk contemporain local aux influences diverses.
Je suis repassé sur l'autre grande scène pour y voir Spanxti, un groupe lituanien mêlant neofolk et ambient.
Ensuite je suis retourné sur la scène principale pour y voir le concert de Dónis accompagné de Rasa Serra, une chanteuse lituanienne qui officie dans plusieurs genres, dont régulièrement le folk (traditionnel, revisité ou contemporain).
M'éloignant un peu des deux grandes scènes je suis tombé par hasard sur un concert coinjoint des groupes Aidi-Ataidi et Sita sur la scène folk, devant laquelle de nombreuses personnes exécutaient des danses folkloriques. L'ambiance était chaleureuse malgré la fraîcheur de cette nuit humide.
Je suis retourné ensuite à la scène de Perkūnas, le dieu la foudre et de la justice (pendant local de Thor ou de Perun) auquel cette édition du Mėnuo Juodaragis était consacré. J'y ai découvert DrymbaDaDzyga, un groupe ukrainien festif qui se définit comme de l'ethno-rock.
Enfin, j'ai terminé ce vendredi par un majestueux concert d'Auļi, un groupe letton que je connaissais déjà, accompagné pour l'occasion par Tautumeitas, un ensemble de chanteuses folkloriques lettonnes coiffées de couronnes.
La journée du samedi fut plus ensoleillée et c'était agréable de découvrir d'autres groupes sur la scène folk en restant assis dans l'herbe au pied du tertre. J'ai ainsi pu voir Vadauja, un groupe lituanien de folk avec des instruments contemporains (guitare, basse, percussions...), puis Ramtatūris, un groupe avec des instruments similaires mais aux nombreux chanteurs en tenues traditionnels pour des chants lituaniens typiques. Ensuite ce fut Girjaukis, avec des instruments folkloriques (tambour, cornemuse, cithare "kanklės") et Dainava, un groupe traditionnel du Belarus.
Puis je me suis éclipsé afin d'assister à la présentation d'Einar Selvik sous le Vieux Chêne. Le leader de Wardruna y a expliqué l'origine de la musique du groupe, la façon dont elle était crée et l'utilisation des instruments. Il a interprété quelques chants seul avec sa lyre. Ces instants sous les arbres étaient magiques.
C'était ensuite le moment de se restaurer en dégustant un bon plat choisi parmi une variété de vendeurs du secteur du festival dédié à cet office. Notons d'ailleurs que la bière officielle du festival était bonne et bon marché. Cette pause me donna l'occasion de parcourir le marché médiéval et de jeter un oeil à une session de percussions tonnant du haut du tertre, suivant la thématique de Perkūnas.
Puis je suis retourné à la "Perkūnas Stage" pour y découvrir Baltos Varnos, un sympathique groupe de folk lituanien contemporain, puis Atalyja, un groupe de folk lituanien plus traditionnel mais intégrant quelques éléments rock. J'ai eu ensuite plaisir à revoir le groupe bélarussien de fantasy folk Irdorath, que j'avais découvert en 2016 dans un festival en Allemagne, et qui ont donné un concert énergétique.
De retour devant la "Dūburys stage" j'ai découvert Elle Márjá Eira, une chanteuse norvégienne d'origine samie qui interprète ds chansons en sami sur de la musique électronique devant une projection de ses propres courts-métrages. Cette artiste présentait chacun des morceaux, décrivant des aspects de la culture de ce peuple autochtone ainsi que les épreuves auxquels ils font face à notre époque. J'ai trouvé ce concert instructif et plaisant, un spectacle complet car au-delà de la musique les films d'Elle Márjá Eira illustraient parfaitement ses chansons.
A nouveau face à la grande scène j'ai assisté à un concert grandiose du groupe Skylė accompagné par la chanteuse Aistė Smilgevičiutė. N'étant pas Lituanien et ne comprenant pas la langue il y a sûrement des choses qui m'ont échappé mais j'ai tout de même apprécié ce concert de folk rock à l'atmosphère un peu sombre. Les Lituaniens étaient en tous cas au rendez-vous avec quelques drapeaux du pays.
Ce samedi se termina pour moi par un solennel concert de Wardruna, tout à fait à sa place dans ce festival.
Les deux grandes chèvres construites en bois et en foin à l'entrée d'une des prairies furent brûlées ce soir là.
Le festival terminant pendant l'après-midi du dimanche 27 août je n'ai pas eu le temps de voir grand-chose entre la fatigue accumulée et le pliage de ma tente suivit de près par une pluie ininterrompue. J'ai tout de même pris un moment pour contempler le lac Dūburys avant de prendre un car vers 16h pour rentrer à Vilnius.
Je reviendrais avec plaisir au Mėnuo Juodaragis pour m'immerger à nouveau dans ce beau cadre naturel où il m'a semblé que les Lituaniens montraient un grand intérêt et de l'affection pour leur héritage traditionnel. Ils m'ont paru à la fois fiers de leur culture ancestrale et conscient de l'importance de la transmettre, sans pour autant se couper de ses pendants contemporains et venus d'autres contrées. C'était peut-être d'autant plus palpable pour cette vingtième édition particulière. Dans les festivals plus ou moins équivalents d'Europe occidentale où j'ai l'habitude de me rendre je n'ai pas ressenti un tel engouement parmi certains festivaliers, peut-être car la Lituanie et ses voisins ont réussi, du fait de leur histoire différente de celle des Européens de l'ouest, à sauvegarder plus facilement leur culture propre. Quoi qu'il en soit je recommande aux personnes sensibles à ces sujets de ne pas hésiter à faire le voyage jusqu'aux prochaines éditions du Mėnuo Juodaragis.
Vous pouvez écouter ma programmation musicale dédiée à cette édition du festival ici.
Mariel Corriel